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Maylis de Kerangal

Maylis de Kerangal
Avec Corniche Kennedy, je redécouvre avec plaisir l'univers propre de Maylis de Kerengal. J'avais déjà eu le plaisir de lire la plume de cette auteur avec un roman plus récent, Réparer les vivants, pour lequel j'avais eu un coup de cœur.

Au-delà de l'histoire qui nous est présentée, c'est le style, le rythme de la phrase qui m'attire dans le travail de Maylis de Kerengal. Les mots jouent de précision et de poésie. Le flot de la langue épouse la passion de la jeunesse, omniprésente dans Corniche Kennedy. Une écriture qui sait aussi se faire sensible et douce dans Réparer les vivants, au point qu'elle m'a arraché quelques larmes. L'auteur s'affranchit des règles de ponctuation pour maintenir la cadence de la phrase, interrompt le récit le temps d'une remarque, une pensée du personnage ou du narrateur, souvent sarcastique.
Un petit bé-mol, néanmoins, à-propos de Naissance d'un pont, récompensé du prix Médicis 2010. C'est un des rares romans que j'ai abandonné en cours de route, puis repris, toujours sans succès. Le style que j'apprécie est là, mais malgré cela, le sujet reste austère. Un pari qui, à mon sens, n'est pas réussi pour cette oeuvre-là. Et pourtant, rien ne m'aurait tiré de ma lecture de Réparer les vivants ou de Corniche Kennedy...
Ceux de la Plate y déboulent, chahutent, y opèrent un appel du pied tandis que l'autre s'envole pointe tendue vers la ligne d'horizon, pour enjamber cette ligne justement, bras, tête et buste l'accompagnant dans une même asymptote de flèche, et leurs corps est propulsé à l'avant, à l'avant de la corniche, à l'avant de la ville, à l'avant du bourbier de l'enfance et des secrets pourris, et dans la chute ils hurlent, ça dure une, deux secondes, pas plus, trois mètres ce n'est pas long, leur cri déchire l'espace dans le sens de la hauteur comme le cutter fend la toile du tableau et l'entreouvre, pour s'y engouffrer, pour s'y perdre, aaaah!, ooooh!, banzaaai!, un cri de fin du monde, n'importe quoi, un rire peut-êttre - mais pas encore de terreur, je rappelle que nous n'en sommes qu'au premier promontoire, celui où l'on rigole, où l'on se met en jambes, puisqu'il faut marcher dans l'air, ici, on est des figures de cartoon, on court, genoux-poitrine et bras cassés à hauteur des coudes, on s'active, on mouline l'atmosphère, on s'élance le plus loin possible, là est le jeu, la petite compète, et soudain le vide, tangible, et la chute ouaaaaaahhhh! - alors l'eau se troue paf dans un bruit de détonation, cratère inversé, bouillon écumeux, le corps disparaît dans les éclaboussures, la tête resurgit la première, faut voir ça, elle reperfore la surface par le dessous, et aussitôt ce mouvement animal pour repousser à l'arrière du front les cheveux collés sur al figure, geste du frimeur, signature du beau gosse de la Côte d'Azur, les cheveux aspergent alentour, des centaines de gouttes prisment l'arc-en-ciel, les cils et les dents perlent, le corps est dressé alors, haussé à la verticale de l'eau jusqu'aux épaules, droit comme un I, la bouche ouverte souffle et crache, puis lentement le dos bascule, vient à nouveau s'étendre à fleur d'eau, crawl ou nage indienne, une ou deux brasses pour atteindre à nouveau la base du Cap, le regard qui se lève vers le promontoire où les autres attendent renversés tête en bas, crient, se marrent, daubent t'as fait le lapin surpris dans les phares, t'as fait la mouche, le ouistiti, alors qu'il faut bouffer le ciel, puis, une fois remontés sur la pointe suivant un escalier naturel inventé dans la paroi, ils gagnent le deuxième promontoire, celui qu'ils nomment entre eux le Just Do It - ils disent aussi faire un Just Do It. 
Extrait de Corniche Kennedy

Oui, une seule phrase qui a elle seule résume bien le style de Maylis de Kerangal: une accumulation d'action qui paraît naturelle. Les verbes s'enchaînent à toute allure, sans concession ni fioriture. Les mots cherchent vont vers une précision chirurgicale, où chaque geste à son importance. Il est alors facile pour nous lecteurs d'imaginer la scène: on la voit, on l'entend et on la vit. L'animation et l'enthousiasme de ces jeunes sont sensibles et communicatifs. Pas étonnant qu'une écriture si visuelle soit reprise au cinéma: on attend fin 2016 une adaptation de Réparer les vivants par la réalisatrice ivoirienne Katell Quillévéré.

Une auteur que je recommande donc, et qui a fait une heureuse Noel dernier!


Août 2008
15,75 euros
192 pages
Août 2010
19,20 euros
320 pages


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