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Réparer les vivants par Maylis de Kerangal


Résumé de l'éditeur
«Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps.» Réparer les vivants est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de geste, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l'amour.

Ce roman de Maylis de Kerangal est certainement son meilleur, en tout cas mon préféré. Un coup de cœur magistral, un livre de chevet dont la relecture me surprend toujours. Rarement je n'ai été aussi émue devant un livre, rarement un livre m'appelle au point qu'une deuxième, troisième voire quatrième relecture ne me déçoivent pas.

Réparer les vivants, c'est le livre de la transplantation. C'est le livre d'une mort, mais aussi d'une renaissance, d'un espoir qui naît grâce à un don fabuleux. Sans jamais juger, sans jamais dire quelle est la meilleure décision, l'auteur bretonne lance un appel à la vie prodigieux. Simon Limbres, un adolescent sportif et amoureux, succombe à un accident de voiture : en mort cérébral, il peut faire don de ses organes. Comment choisir ? Comment savoir s'il aurait été d'accord ?

Vingt-quatre heures palpitantes, au rythme d'un cœur qui ne bat plus que grâce aux machines. Les événements se précipitent parfois, se bousculent, puis se calment et c'est le tempo des vagues et de la mer qui prend le relais. L'écriture, magnifique, s’accélère puis se déploie pour dire la douleur, la souffrance de ceux qui restent. Maylis de Kerangal aime les phrases longues pour mieux raconter, aller au plus précis des choses. Inlassablement, les mots s'enchaînent dans un tourbillon, prenant une amplitude fantastique. L'auteur se corrige, cherche le mot parfait. Sans relâche, elle fait sonner les mots selon les pulsations d'un cœur. Le lecteur retient sa respiration, souvent, pour lire Réparer les vivants. Prendre son temps, voilà le mot clé pour profiter de ce texte, pour en savourer toutes les richesses. On souffle, on s'essouffle à la lecture de phrases qui jamais ne paraissent se terminer. Une écriture qui dérange, mais comment ne pas apprécier d'être déranger lorsque cette esthétique rend compte d'un rythme, d'un rapport au temps si nécessaire dans cette situation : la transplantation doit aller vite. Une journée suffit pour dire la disparition d'un être, l'éparpillement d'un corps.


Ce qu’est le cœur de Simon Limbres, ce cœur humain, depuis que sa cadence s’est accélérée à l’instant de la naissance quand d’autres cœurs au-dehors accéléraient de même, saluant l’événement, ce qu’est ce cœur, ce qui l’a fait bondir, vomir, grossir, valser léger comme une plume ou peser comme une pierre, ce qui l’a étourdi, ce qui l’a fait fondre – l’amour ; ce qu’est le cœur de Simon Limbres, ce qu’il a filtré, enregistré, archivé, boîte noire d’un corps de vingt ans, personne ne le sait au juste, seule une image en mouvement créée par ultrason pourrait en renvoyer l’écho, en faire voir la joie qui dilate et la tristesse qui resserre, seul le tracé papier d’un électrocardiogramme déroulé depuis le commencement pourrait en signer la forme, en décrire la dépense et l’effort, l’émotion qui précipite, l’énergie prodiguée pour se comprimer près de cent mille fois par jour et faire circuler chaque minute jusqu’à cinq litres de sang, oui, seule cette ligne-là pourrait en donner un récit, en profiler la vie, vie de flux et de reflux, vie de vannes et de clapets, vie de pulsations, quand le cœur de Simon Limbres, ce cœur humain, lui, échappe aux machines, nul ne saurait prétendre le connaître, et cette nuit-là, nuit sans étoiles, alors qu’il gelait à pierre fendre sur l’estuaire et le pays de Caux, alors qu’une houle sans reflets roulait le long des falaises, alors que le plateau continental reculait, dévoilant ses rayures géologiques, il faisait entendre le rythme régulier d’un organe qui se repose, d’un muscle qui lentement se recharge – un pouls probablement inférieur à cinquante battements par minute – quand l’alarme d’un portable s’est déclenchée au pied d’un lit étroit, l’écho d’un sonar inscrivant en bâtonnets luminescents sur l’écran tactile les chiffres 05:50, et quand soudain tout s’est emballé.



L'écriture, si lyrique, si déployée, permet de rentrer, non pas par effraction, mais tout en douceur dans l'intimité d'un jeune homme et celle de sa famille. Hymne à la vie, hymne au partage : ce roman est tout cela à la fois, sans pathos ni drame ajouté (le sujet est déjà assez dur comme cela). Au contraire, c'est avec délicatesse et justesse que l'auteur traite son histoire.



A lire, absolument, pour une écriture superbe, tout en finesse et en recherche du mot juste. 
Un coup de cœur absolu ! 



Mai 2015
304 pages
7.70 €
ISBN 9782070462360





Et le film alors ?
Pour la première fois, j'ai autant apprécié un livre qu'un film : la même émotion à fleur de peau, la même délicatesse se retrouve dans l’adaptation de Katell Quillévéré. Si le film est très fidèle au texte, le scénario s'est permis des écarts, développant la vie de la receveuse du cœur de Simon Limbres. Je retiendrais surtout la scène, magistrale et tout en finesse de l'accident de voiture : la route, droite et déserte, gêlée ; des adolescents fatigués dans un van de surfeur ; la mer qui se superpose peu à peu au bitume et son grondement qui envahit tout, menaçant et lourd. Le choc, les bruits de tôle froissée arrivent alors que l'on a en face de nous les vagues : on ne voit finalement pas l'accident, mais c'est tout aussi choquant.
Amis sensibles, préparer vos mouchoirs si vous regardez ce film : c'est une oeuvre forte, sans concession.


















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